Donatien Alphone François, Marquis de Sade (1740-1814), ecrivain français, philosophe et libertin. Il est né dans une vieille famille aristocratique. Il montre, en fréquentant les actrices et les courtisanes son goût pour la luxure, qui lui vaut, l'année même et peu de temps après son mariage, un premier séjour en prison pour "débauche outrée".
Source: Charles-Amédée-Philippe van Loo / Wikimedia Commons |
Après une seconde incarcération de six mois en 1768 pour flagellation, il est accusé en 1772 d'empoisonnement pour avoir rendu malade une prostituée à qui il avait fait prendre des dragées aphrodisiaques. Il est condamné à mort par contumace. Arrêté, puis évadé, il est finalement repris et, sous le coup d'une lettre de cachet, incarcéré successivement à Vincennes, à la Bastille et à Charenton. C'est pendant cette longue période d'emprisonnement que Donatien Alphonse François de Sade commence à écrire pour dissiper son ennui. Il est libéré en 1790 par la Révolution comme toutes les victimes de lettres de cachet.
Le Marquis de Sade alterne dans ses ouvrages les scènes pornographiques souvent extrêmes et les dissertations philosophiques. Décédé il y a presque deux siècles, le marquis de Sade demeure une énigme.
Ecrivain aux mœurs dissolues et hors-la-loi, noble criminel, le plus
célèbre prisonnier de la Bastille, survivant à tous les régimes,
scandalise sans fin. Qui était-il? La réponse dans cette "Grande lettre"
à sa femme: confession originale du Divin Marquis, père de tous les
"sadismes" et libertinages (prix de cet article):
20 Février 1781,
Je ne suis coupable que de simple et pur
libertinage, et tel qu'il se pratique par tous les hommes, plus ou moins
en raison de leur plus ou moins de tempérament ou de penchant à cela
qu'ils peuvent avoir reçu de la nature. Chacun a ses défauts; ne
comparons rien : mes bourreaux ne gagneraient peut-être pas au
parallèle.
Oui, je suis libertin, je l'avoue ; j'ai conçu tout ce
qu'on peut concevoir dans ce genre-là, mais je n'ai sûrement pas fait
tout ce que j'ai conçu et ne le ferai sûrement jamais. Je suis un
libertin, mais je ne suis pas un criminel ni un meurtrier,
et puisqu'on me force à placer mon apologie à côté de ma justification,
je dirai donc qu'il serait peut-être possible que ceux qui me
condamnent aussi injustement que je le suis ne fussent pas à même de
contrebalancer leurs infamies par des bonnes actions aussi avérées que
celles que je peux opposer à mes erreurs. Je suis un libertin, mais
trois familles domiciliées dans votre quartier ont vécu cinq ans de mes
aumônes, et je les ai sauvées des derniers excès de l'indigence.
Je
suis un libertin, mais j'ai sauvé un déserteur de la mort, abandonné
par tout son régiment et par son colonel. Je suis un libertin, mais aux
yeux de toute votre famille, à Evry, j'ai, au péril de ma vie, sauvé un
enfant qui allait être écrasé sous les roues d'une charrette emportée
par des chevaux, et cela en m'y précipitant moi-même. Je suis un
libertin, mais je n'ai jamais compromis la santé de ma femme. Je n'ai
point eu toutes les autres branches du libertinage souvent si fatales à
la fortune des enfants : les ai-je ruinés par le jeu ou par d'autres
dépenses qui aient pu les priver ou même entamer un jour leur héritage?
ai-je mal géré mes biens, tant qu'ils ont été à ma disposition ? ai-je,
en un mot, annoncé dans ma jeunesse un cœur capable des noirceurs dont
on le suppose aujourd'hui ? n'ai-je pas toujours aimé tout ce que je
devais aimer et tout ce qui devait m'être cher? n'ai-je pas aimé mon
père ? (hélas, je le pleure encore tous les jours), me suis-je mal
conduit avec ma mère ? et n'est-ce pas lorsque je venais recueillir ses
derniers soupirs et lui donner la dernière marque de mon attachement,
que la vôtre m'a fait traîner dans cette horrible prison où elle me
laisse languir depuis quatre ans ? En un mot, qu'on m'examine depuis ma
plus tendre enfance. Vous avez près de vous deux personnes qui l'ont
suivie, Amblet et Mme de Saint-Germain. Que passant de là à ma jeunesse, qui peut avoir été observée par le marquis de Poyanne
sous les yeux de qui je l'ai passée, on aille jusqu'à l'âge où je me
suis marié, et qu'on voie, qu'on consulte, qu'on s'informe si j'ai
jamais donné des preuves de la férocité qu'on me suppose et si quelques
mauvaises actions ont servi d'annonces aux crimes que l'on me prête :
cela doit être ; vous le savez, le crime a ses degrés.
Comment
donc supposer que, d'une enfance et d'une jeunesse aussi innocentes, je
suis tout d'un coup parvenu au dernier comble de l'horreur réfléchie ?
Non, vous ne le croyez pas. Et vous qui me tyrannisez si cruellement
aujourd'hui, vous ne le croyez pas non plus : votre vengeance a séduit
votre esprit, vous vous y êtes livrée aveuglement, mais votre coeur
connait le mien, il le juge mieux, et il sait bien qu'il est innocent.
J'aurai le charme de vous en voir convenir un jour, mais l'aveu ne
rachètera pas mes tourments, et je n'en aurai pas moins souffert... En
un mot, je veux être lavé, et je le serai, à quelque époque qu'on me
fasse sortir d'ici. Si je suis un meurtrier, j'y aurai trop peu été, et
si je ne le suis pas, j'aurai été beaucoup trop puni et je serai en
droit de demander raison.
Voilà une bien longue lettre, n'est-ce
pas ? Mais je me la devais, et je me l'étais promise à la révolution de
mes quatre ans de souffrance. Ils sont expirés. La voilà ; elle est
écrite comme à l'article de la mort, afin que si elle me surprend sans
que j'ai la consolation de vous serrer encore une fois dans mes bras, je
puisse, en expirant, vous renvoyer aux sentiments exprimés dans cette
lettre, comme aux derniers que vous adressera un cœur jaloux d'emporter
au moins votre estime au tombeau.
Vous pardonnerez son désordre ;
elle n'est ni recherchée ni spirituelle : vous n'y devez voir que la
nature et la vérité. J'efface quelques noms placés au commencement, pour
qu'elle vous passe, et je supplie instamment qu'elle vous soit remise.
Je ne vous demande pas de m'y répondre en détail, mais de me dire
seulement que vous avez reçu ma grande lettre : c'est comme
cela que je la nommerai ; oui, c'est comme cela que je la nommerai. Et
quand je vous renverrai aux sentiments qu'elle contient, alors vous la
relirez ... M'entends-tu, ma chère amie ? Tu la reliras et tu verras que
celui qui t'aimera jusqu'au cercueil a voulu la signer de son sang.
Source texte : Marquis de Sade (1997), Lettres à sa femme, Babel
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